Le métier d’UX Researcher, entretien avec Roxane Lacotte

Vasilissa Kulikova
February 17, 2021

De l’UX Design à l’UX Research ! Après avoir discuté avec les UX Designers de différentes entreprises, on s’intéresse au métier énigmatique de l’UX Researcher. Quelle est sa mission ? Quel est son rôle dans la conception de produit ? Comment peut-on devenir UX Researcher ? Vous trouverez les réponses à toutes vos questions ainsi que de précieux conseils dans notre entretien avec Roxane Lacotte, freelance UX Researcher.

Présentation Roxane Lacotte

On va commencer par la question qui brûle sûrement les lèvres de certains de nos lecteurs : UX Researcher, c’est quoi ?

Pour définir ce métier, j’utilise habituellement des termes non conventionnels, parce que je ne suis pas du tout issue d’un cursus académique en research. Moi je me perçois comme étant la porte vers les utilisateurs de mes clients. Je suis là pour aider ces derniers à identifier et comprendre les problèmes que vivent leurs clients. Ensuite, je travaille avec des profils plus impliqués dans la conception (product designers, UX/UI designers) pour leur apporter un bilan de ces problèmes, afin qu'ils puissent trouver les meilleures solutions. En tant que UX Researcher je ne travaille pas tant sur la solution, mais plutôt sur leur identification et sur la compréhension des comportements et des besoins des utilisateurs.

À ton avis, comment ce métier est-il né ?

Bonne question. À mon avis, il est né parce que nous avons créé énormément de solutions et nous avons tourné aussi l'innovation vers la solution. Sauf qu’on s’est rendu compte que ces solutions sont souvent imaginées par quelqu’un qui ne connaît pas ses clients et qu'elles n’ont jamais été confrontées à la réalité du marché ni de ses usages. Il y a des institutions, notamment IDEO, qui ont lancé la réflexion sur cette question : “on designe, mais pour qui?”, et je pense que l’UX Research est issue de ce processus-là. L’idée est d’identifier d’abord les problèmes des utilisateurs pour ensuite proposer une solution adaptée, et ainsi éviter une perte de temps, d’énergie et d’argent.

Parle-nous de ton parcours : qu’est ce qui t'a amené à être UX Researcher aujourd’hui ?

Je suis issue d’une formation marketing. Le marketing digital est arrivé très tard pour moi - j’ai commencé à en faire en dernière année de master, quand je suis partie aux États-Unis et ensuite à Paris pendant mon stage de fin d’études dans un groupe qui gère des marques de sous-vêtements.

J’ai intégré la boîte dans le service Trade Marketing Retail, notamment pour les marques DIM et Wonderbra, et mon rôle était de penser la scénographie des vitrines. Pour savoir quels produits mettre en avant, je devais à la fois m’appuyer sur les statistiques et des projections de ventes, et passer du temps en boutiques avec les vendeuses. Finalement c'est vraiment ce deuxième point qui m'inspirait le plus, bien plus que des tableaux Excel. Alors j’ai commencé à me demander si cette chose-là n’avait pas un nom et s’il n’existait pas un métier derrière. Là, j’ai compris que l’Expérience Client existait et qu’il y avait des agences spécialisées là-dedans, suite à quoi j’ai postulé chez Axance, une agence spécialisée en Expérience Utilisateur et plus orientée sur les produits digitaux.

Je l’ai intégrée d’abord en tant que chef de projet UX. Pendant deux ans j’ai coordonné des projets : j’ai encadré des UX designers, des UX researchers, des data-analystes sur les projets de nos clients et mon objectif était à la fois que l’équipe ait l'espace suffisant pour travailler et que les besoins des clients soient satisfaits. Dans cette agence j’ai été fascinée dès le départ par le métier d’UX Researcher, ils étaient super créatifs et très dynamiques et leur manière de faire m’a énormément inspirée, donc je me suis dit : “c’est exactement ce que je veux faire !” Alors j’ai demandé un changement de poste et je suis devenue UX Researcher chez Axance. J’ai commencé directement à travailler sur de gros sujets transverses, dont mon premier chez Air France où on a fait une grosse phase de “discovery” : des interviews en interne sur les problèmes remontés par les clients, des observations en aéroport, des user tests du site d’Air France... Ça m’a permis de balayer pas mal de méthodes de research. J’ai passé encore un an chez Axance, dont 9 mois en tant que coach d’UX Research en interne chez le client. Finalement, ce travail en autonomie m’a inspirée à me lancer à mon compte.

J’ai quitté les grands groupes, et maintenant j’accompagne exclusivement des start-ups et des scales-ups qui ont besoin d’aller vite et qui ont envie de comprendre leurs utilisateurs pour leur apporter les solutions qui répondent le mieux à leurs besoins.

À la première question tu nous as parlé de ta collaboration avec les UX designers, discutons un peu plus de ça : comment ça se passe ? Où est-ce que ton travail s’arrête et celui de l’UX designer commence ?

Je vais continuer avec l’exemple de mon travail en agence. Le designer vient en observation de cette phase de “discovery”, il écoute certaines voire toutes les interviews pour vraiment s'immerger et comprendre quels sont les problèmes remontés par les utilisateurs. Ensuite, on débriefe ensemble, on réfléchit sur les solutions possibles et on teste ses premières intentions. Le test se passe soit sur wireframe, soit sur des maquettes plus élaborées. Là aussi le designer m'accompagne en “shadowing”.

L’idée est que le designer avec qui je collabore soit vraiment présent quand je fais de la research pour ne pas qu’il y ait une argumentation de ma part ensuite, et qu’il puisse être nourri et nourrir son design directement avec les retours utilisateurs. Pour moi c’est vraiment un travail main dans la main, et l’intérêt de cette collaboration pour l’UX designer est d’enlever le biais de son propre jugement sur son travail. C’est très difficile d’être juge et arbitre de sa propre interface et le rôle du duo est de pouvoir avancer plus sereinement. L’UX Research ne valide pas simplement le travail du designer mais permet de poser des questions qui vont nous apprendre si on a pris les bonnes décisions jusqu’ici ou pas.

On comprend bien que le facteur humain est au cœur de ce métier, mais peux-tu nous en dire un peu plus : quels sont les éléments qui te plaisent le plus dans l’UX Research ?

Ce qui me plaît à fond, comme tu as dit, c'est le facteur humain. Quel que soit le moment du projet - il y a beaucoup de communication. L’UX Research est un métier d’écoute et j’adore me dire que finalement je suis dans une posture privilégiée car je vais pouvoir découvrir un petit bout de la vie et des problèmes d’une personne pour après trouver des solutions pour elle.

C’est émouvant et parfois ça marque : par exemple, dans le cadre d'une étude pour une application bancaire je faisais une interview avec une dame et c’était difficile de la faire verbaliser, poser des mots sur ses ressentis. Et ce n’est qu’à la fin de l’entretien qu’elle m’a avoué qu’elle ne savait pas lire. C’était très intéressant pour moi de voir comment quelqu’un qui ne sait pas lire se débrouille sur un site - qu’est-ce qu’il ou elle va regarder en premier, quels sont les éléments qu’elle mémorise pour s’orienter sur le site, etc.

J’aime beaucoup aussi le fait d’être un conseiller et une personne neutre en arrivant chez le client. J’apporte les besoins des utilisateurs et l’information sur ce qu’ils apprécient ou pas, et ce n’est jamais mon avis personnel.

Je voulais te poser une question justement à propos de ça: comment est-ce que tu vois, en tant que freelance, la façon dont la position de l’UX Researcher est vue/reçue dans les entreprises ? Est-ce qu’elle est toujours écoutée ?

Évidemment elle n’est pas toujours écoutée et elle ne le sera pas pendant encore longtemps, c’est quand même un métier très neuf. Il y a encore beaucoup de travail à faire et de poussière à enlever avant de pouvoir mettre une nouvelle dynamique dans les boîtes pour qu’elles soient vraiment centrées sur l'utilisateur dans leurs démarches. Aujourd’hui pour moi ça dépend des profils avec qui je travaille : est-ce que la boîte est user centric et si oui, quelles méthodes sont utilisées.

Après parfois c’est normal que les résultats de ma research ne soient pas acceptés dans leur intégralité, car derrière il faut aussi s’aligner avec les objectifs de la boîte. C’est là que ma formation marketing m’a beaucoup servie, parce qu’on veut que l’expérience soit bénéfique et positive pour les utilisateurs, mais ça n’empêche qu’on veut vendre. Pour le faire il faut mettre tout dans la balance : les données que j’apporte à mes clients et leurs objectifs business.

En étant freelance, j’accompagne un certain temps mes clients, mais parfois pas assez longtemps dans une entreprise pour pouvoir convaincre sur le long terme. Donc si les éléments que je relève sont importants pour moi, mais ne sont pas conformes à la vision business, mon pouvoir d’action reste malheureusement assez limité!

Selon toi, est-ce que le niveau d'acceptation et de compréhension de la démarche a augmenté au cours des dernières années ?

Oui, complètement. Surtout l'acceptation, moins pour la compréhension de la démarche. Souvent en tant que freelance on va entendre : “ah, il faut qu’on fasse de l’UX Research ! Il faut qu’on parle à nos clients.” C’est déjà un bon point, mais quand on leur demande pourquoi ils veulent en faire et qu’est-ce qu’ils ont envie de savoir, la réponse est : “juste parce que tout le monde le fait.” Donc pour l’instant et pour certains, c’est encore un effet de mode! Ça se réveille petit à petit, mais c’est difficile de changer l’orientation des processus d’une boîte pour qu’ils soient centrés sur l’utilisateur, donc ça me paraît logique que ça prenne du temps. C'est une toute nouvelle organisation à mettre en place.

C’est quoi ta vision du futur de l’UX Research et du rôle de l’UX Researcher ?

Pour moi, ce qui va gagner en puissance c’est l’idée que tout le monde peut et devrait être “UX Researcher”. Toutes les équipes autour du produit doivent avoir en tête la question : “pour qui je le fais ? À quel besoin je réponds ?”

Aujourd’hui on parle beaucoup des “research repository”, qui rassemble toute l’information sur les utilisateurs, le marketing, les ventes, etc., et c’est assez complexe à mettre en place au niveau du management. Le rôle de l’UX Researcher est d’être garant de cette connaissance là et de la distribuer aux bonnes équipes, pour qu’elle sorte naturellement de l’équipe produit et qu’elle nourrisse les autres. Personnellement et en ayant parlé avec d’autres UX researchers et product manager, je ne pense pas que les outils de répertoire de données [NDLR: tels que Dovetail ou Condens] proposés aujourd’hui soient autoporteurs.

Pourquoi ?

Parce que les mettre en place c’est, d’une part, changer d’anciennes méthodes et habitudes, et de l’autre, en créer de nouvelles : ça prend du temps, et on ne peut pas demander aux employés d’être tout de suite autonomes sur un outil. Donc je pense qu’il faut avoir quelqu’un qui va faire du “research management” derrière (autrement appelé ResearchOps), et les UX researchers pourront prendre ce rôle. Au-delà de ça, je pense aussi que dans un futur proche, en tant qu’UX Researchers, notre rôle ira plus loin que les tests simples tels que la usability testing, et se concentrera plus sur la partie “discovery”.

D’accord. Là on a parlé des grandes boîtes, discutons maintenant des jeunes entrepreneurs, qui veulent faire de l’UX Research.

Quel conseil leur donnerais-tu ?

Tout d’abord, le plus important est de savoir ce qu’on a déjà en main : lire les avis qu’on nous laisse, les commentaires sur les réseaux sociaux, faire des sondages rapides parmi sa communauté. Ça ne sert à rien de partir de zéro. Le deuxième conseil est d’aller voir le service client, qui est directement en contact avec les utilisateurs, pour connaître les problèmes remontés. Après, quand il faut se lancer, c’est mieux de le faire avec un researcher à ses côtés, pour avoir des méthodes structurées et ne pas biaiser la research. Je pense qu’il faut y aller doucement : il vaut mieux prendre un gros problème et le décomposer en plusieurs sous-problèmes pour les résoudre l’un après l’autre, plutôt que voir la situation comme une montagne immense qu’on ne pourra jamais surmonter. Je sais que c’est difficile, parce qu’au début de ma carrière en freelance, je n’ai moi-même pas suivi mon propre conseil :)

Quel conseil donnerais-tu aux personnes qui n’arrivent pas à convaincre les autres membres de leur entreprise à recourir à l’UX Research ?

C’est l’histoire de ma vie. Parfois je me retrouvais dans une entreprise où les gens ne croyaient pas du tout en l’UX Research. Ma stratégie a été de trouver des gens que j'aidais, presque « discrètement » dans leurs tâches au niveau purement opérationnel par mes moyens de research, que ça soit l’équipe produit ou marketing. En revanche, on communiquait beaucoup sur le résultat : “grâce à l’UX Research nous avons accompli...”, et ça permettait de démocratiser la démarche au sein des équipes.

Quel serait ton conseil pour un UX Researcher débutant ?

Je ferais comme j’ai fait moi : me faire coacher, mentorer par des personnes inspirantes en UX research. Parce que pour moi le parcours académique t’apporte beaucoup de connaissances théoriques sur comment enlever le biais, etc., mais c’est vraiment en voyant que tu apprends. Par exemple, la personne qui m’a inspiré Céline Yao (aujourd’hui - Senior Customer Research Manager chez HSBC), avec qui je travaillais chez Axance. Je pense qu’il faut y aller par étape et commencer en duo ou même en note-taker avec un UX Researcher.

Et la deuxième chose et ça concerne aussi la vie en général : il faut être hyper curieux(se), ouvert(e) d’esprit, écouter des avis différents et être prêt(e) à les recevoir sans être biaisé(e) par son propre jugement.

Unlock your user research superpowers with Tandemz!

Get Started

Never miss a ressource - stay up to date with our newsletter!

You have successfully signed up to our newsletter!
Oops! Something went wrong while submitting the form. Try again later, or send us a message on support@tandemz.io